CAMEROUN – GRAND DIALOGUE NATIONAL : 5 ANS PLUS TARD, QUE RETENIR ?

0

Le 4 octobre 2019, marquait la fin du grand dialogue national qui se tenait dans le but de trouver des solutions à l’une des plus grandes crises sociopolitiques jamais vécues au Cameroun. Cinq ans après ce grand rendez-vous d’échanges entre camerounais à Yaoundé, quel état des lieux peut-on faire sur la situation? Les populations des régions en crise ont-elles finalement reçu des réponses concrètes à leurs attentes ?

Les participants au grand dialogue national au palais des congrès de Yaoundé en 2029

Le Grand Dialogue National de 2019, circonstances et objectifs

Alors que la crise sociopolitique était à la troisième année de son explosion, et l’horizon toujours incertain, dans un message à la nation le 10 septembre 2019, le chef de l’Etat a alors annoncé la tenue d’un grand dialogue national. Avec pour objectif d’examiner les voies et moyens de répondre aux aspirations profondes des populations de ces deux régions, mais aussi de toutes les autres composantes du Cameroun. En ce temps, le président Paul Biya donnait ainsi le ton d’une série de longues concertations qui mobiliseraient diverses expertises.

Au-delà des revendications politiques de 1970, les aspirations ponctuelles des populations des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest en 2019 portaient sur le retour à une paix durable, le développement local et la revue des systèmes judiciaires et éducatifs qui devraient tenir compte de leurs spécificités.

Autour de la table, huit commissions étaient alors constituées. Parmi lesquelles, bilinguisme, diversité culturelle et cohésion sociale, système éducatif, système judiciaire, retour des réfugiés et des déplacés internes, reconstruction et développement des zones touchées par la crise, décentralisation et développement local.

Les résolutions et recommandations du grand dialogue national

À l’issue de cinq jours de discussions intenses en commissions, les participants ont formulé de nombreuses recommandations. Dont l’essentiel était :

– accorder un statut spécial aux régions du Nord-ouest et du Sud-ouest, conformément à l’article 62 alinéa 2 de la Constitution,

– prendre des mesures spécifiques pour assurer un statut égal au français et à l’anglais dans tous les aspects de la vie nationale,

– renforcer l’autonomie des collectivités territoriales décentralisées,

– améliorer les infrastructures des services judiciaires dans tout le pays,

– renforcer le programme d’assistance humanitaire afin de mieux satisfaire les besoins des déplacés internes,

– mettre en place un plan spécial de reconstruction en faveur des zones touchées par la crise,

– diffuser largement l’offre d’amnistie faite par le chef de l’Etat aux combattants qui déposent les armes et s’insèrent dans le processus de réintégration,

– désigner une équipe chargée de prendre langue avec les membres radicalisés de notre diaspora.

Les régions du Nord et Sud ouest s’en sortent avec un statut spécial

Au sortir des discussions de Yaoundé, une loi est rapidement adoptée: La loi de décembre 2019. Cette loi porte Code général des collectivités territoriales décentralisées. L’objectif était de conférer aux deux régions en crise, le statut désormais spécial. Le statut étant fondé sur leur spécificité linguistique et sur leur héritage historique.

En effet, cette loi se traduit par l’organisation et le fonctionnement de ces deux régions. Mais aussi « par le respect des particularités du système éducatif anglophone et la prise en compte des spécificités du système judiciaire anglo-saxon basé sur la Common Law ».

Ensuite, le décret présidentiel adopté en décembre 2020, vient déterminer les modalités d’exercice des fonctions de “Public Independent Conciliator”. Ce texte renseigne que la « Public Independent Conciliator » est une « autorité indépendante », chargée « d’examiner et de régler à l’amiable les litiges opposant les usagers et l’administration régionale et communale ». Il défend et protège également les droits et libertés dans le cadre des relations entre les citoyens et la région ou les communes de la région ».

Selon le Pr Elvis Ngolle Ngolle, élite du Sud-Ouest, « ce statut spécial a permis aux deux régions de disposer des moyens et des opportunités pour accélérer leur développement ». « Les deux régions sont pilotées ou gérées par des assemblées générales qui ont un pouvoir délibératif. Ces assemblées sont organisées et fonctionnent comme des institutions bicamérales : la chambre des délégués départementaux et la chambre des chefs traditionnels, ce qui n’est pas le cas dans les huit autres régions francophones. » a-t-il expliqué au micro de la télévision nationale (Crtv)

Le GDN fait des mécontents, radicalise les groupes armées

La libération de 333 personnes incarcérées dans le cadre de la crise anglophone, ainsi que la libération de Maurice Kamto et ses 101 codétenus de la crise postélectorale a plutôt été bien accueillie côté anglophone. Mais cette satisfaction cachait visiblement mal un certain scepticisme sur la capacité du gouvernement à exécuter dans un bon timing les résolutions du « Grand Dialogue National ».

Il aura fallu seulement un an, pour que les violences escaladent doublement dans les régions anglophones avec des attaques aux engins explosifs improvisés en marge du Championnat d’Afrique des nations (CHAN) dans le Sud-Ouest, des tirs meurtriers sur le convoi du préfet de Momo dans le Nord-Ouest, des écoliers sauvagement assassinés…des tueries et massacres incontrôlés des populations, des fermetures des établissements scolaires, des kidnapping et prises d’otages et la radicalisation des groupes armées opérant dans les régions.

Le début de l’année 2021 a été marqué par une recrudescence des violences. Au cours du seul mois de janvier, celles-ci ont fait plus de 30 morts dans la région.

Aujourd’hui bien des années après la tenue du grand dialogue national qui avait été perçu à l’époque comme une grande porte de sortie de cette crise, le regard est plutôt mitigé quant à la situation actuelle. La crise a fait au moins 10 000 victimes, dont plus de 3870 civils, selon le décompte réalisé par l’Armed Conflict Location & Event Data Project (ACLED). Pas moins de 108 villages ont été attaqués, et pour certains complètement brûlés, depuis 2020, selon l’ACLED. Cette situation a provoqué la fuite de près d’un million de déplacés, dont au trois cents milles ont trouvé refuge au Nigeria et d’autres dans d’autres régions du Cameroun. Notons que si le pic des violences a été atteint entre juillet et septembre 2018, pas un mois ne se passe sans que des combats ou des attentats ne soient enregistrés.

Que reste-t-il à faire ?

L’un des grands défis pour le Cameroun reste la pacification durable des régions anglophones. Un dialogue véritablement inclusif, impliquant les principaux leaders séparatistes, semble incontournable pour une paix à long terme. De plus, la décentralisation doit être accélérée et mieux appliquée pour permettre aux régions de jouir pleinement de l’autonomie promise.

Le Grand Dialogue National a offert un cadre pour des réformes, mais cinq ans après, beaucoup s’accordent à dire qu’il faut un engagement politique plus ferme et des actions concrètes pour répondre aux attentes. La réconciliation nationale, et particulièrement la résolution du conflit anglophone, reste inachevée et nécessitera davantage d’efforts pour que le Cameroun retrouve la stabilité tant espérée.

En conclusion, le bilan du Grand Dialogue National est nuancé. Si certaines avancées sont visibles, notamment sur le plan institutionnel, le chemin vers une paix durable et une véritable autonomie régionale semble encore long et semé d’embûches. Le Cameroun, aujourd’hui plus que jamais, doit renouveler son engagement en faveur d’un dialogue inclusif et de réformes profondes pour éviter que les frustrations n’embrasent à nouveau le pays.

Article précédentCAMEROUN – UNE NOUVELLE ÈRE POUR LA VÉRIFICATION DES DIPLÔMES
Article suivantRWANDA: LE VIRUS DE MARBURG MET EN PÉRIL LE SYSTÈME DE SANTÉ

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici