C’est à Douala ce 21 septembre 2024 au cours d’une conférence de presse que le Groupement des entreprises du Cameroun (Gecam) a formulé sa profonde inquiétude, face aux mouvements d’immigration qui augmentent de manière exponentielle au fils des ans. Une situation qui selon Célestin TAWAMBA, mérite qu’on s’y intéresse de très près.
Un bureau d’immigration canada installé à Douala
Le phénomène de l’immigration est un fait qui remonte bien loin dans le passé, cependant il n’était pas perçu comme un fléau qui pourrait causer du tort ou même contribuer à détruire l’avenir socio-économique d’un pays. Dans la mesure où il permettait aux uns et aux autres d’aller bénéficier de l’expertise étrangère dans l’optique d’un réinvestissement local, l’immigration n’était en aucun point une menace. Depuis bientôt 10 ans, ce phénomène a largement évolué, il s’est transformé négativement pour devenir pour de nombreux pays africains, une porte grande ouverte pour laisser partir les têtes bien faites du continent au grand bonheur de nombreux pays européens, américains et asiatiques. Perçu aujourd’hui par de grands économistes à l’instar, d’Aliko Dangoté comme le phénomène de “fuite des cerveaux” ce fléau contribue désormais à la destruction de l’avenir de nombreux pays africains parmi lesquels le Cameroun en tête de liste. Comprendre et analyser les causes profondes, les conséquences et l’impact afin d’entrevoir des solutions, reste l’une des plus grandes préoccupations des politiques africaines.
Les causes profondes de l’immigration en Afrique: cas du Cameroun
Selon Tumenta F. Kennedy consultant en migration internationale basé au Cameroun, les causes profondes de la migration sont légions. Cependant il importe de mettre en tête d’affiches l’instabilité politique, les difficultés économiques, le manque d’opportunités d’emploi, les problèmes de sécurité, les mauvaises conditions de travail et les niveaux de salaires misérablement bas. Voilà autant de facteurs qui poussent au départ. « Vous ne pouvez pas prôner des valeurs morales ou appeler au patriotisme pour inciter les gens à rester », estime-t-il.
Selon lui, la nécessité de subvenir à ses besoins fondamentaux est bien plus importante pour chaque camerounais.
Pour ce qui est spécialement de l’immigration canadienne qui semble avoir implanté ses racines au Cameroun, le consultant précise la principale raison:
“les destinations traditionnelles en Europe ferment leurs portes. « Aller étudier en Allemagne, en France ou en Belgique est un cauchemar ». En face, le Canada qui visiblement maîtrise les techniques d’approches, créent plus d’ouverture et de facilités en mettant sur la table des propositions alléchantes comme le travail, les meilleures situation de vie, économiquement parlant, et bien entendu la nationalité. Voilà pourquoi de nombreux Camerounais n’hésitent plus à viser désormais cet État de l’Amérique du Nord.
270.820 camerounais sont partis entre 2015 et 2024
American Community Survey souligne qu’en 4 ans seulement, 60100 camerounais ont immigré aux États-Unis entre 2015 et 2019. La situation s’est empirée depuis le début de la crise anglophone en 2017. En 2022, plus de 90000 camerounais avaient immigré en France, 15769 en Belgique, 12000 en Espagne.
Statistique Canada a rendu public un récent rapport (2023) relatif aux « Migrations internationales et interprovinciales au Québec ».
A l’analyse dudit rapport, si l’on devrait considérer uniquement les pays africains, le Cameroun apparaît comme le premier pays de naissance des immigrants permanents qui ont été admis au Québec au cours de l’année 2023. A l’échelle mondiale, il occupe la seconde place : « La France est le principal pays de naissance des immigrants permanents admis en 2023, suivi de près par le Cameroun.
La France (13,0 %) arrive en tête des pays d’origine des immigrants permanents admis en 2023, devant le Cameroun (11,8 %), la Chine (11,1 %), l’Algérie et le Maroc (4,7 % chaque) et la Tunisie et Haïti (4,2 % chaque).
Le rapport précise surtout que « La part du Cameroun est particulièrement élevée en 2023, si bien qu’il se hisse pour la première fois parmi les cinq premiers pays de provenance ».
Ce samedi 21 septembre le Gecam annonçait que 6000 Camerounais dont médecins, enseignants etc…ont migrés au canada entre avril et août 2024.
Un phénomène aux conséquences socio-économiques désastreuses en fond toile
“Le départ des diplômés appauvrit grandement les pays d’origine, en s’attardant sur les propos du président du Gecam Célestin Tawamba. Il est désormais impossible de nier que les conséquences de ce fléau s’étendent sur plusieurs domaines de la vie socio-économique: sur le plan économique c’est la perte de compétence, obstacle au processus d’accumulation des expériences, un frein énorme au développement… Selon le Gecam, depuis 2022, ce sont au total 342 entreprises privées qui souffrent.
Dans la fonction publique, bien que les chiffres ne soient pas officiellement déclarés, il n’est pas à négliger que de nombreuses entreprises partant des écoles, des hôpitaux etc…souffrent elles aussi de cette triste situation.
Sur le plan continental, la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED), les pays africains dépensent chaque année 4 milliards de dollars pour compenser le départ de leurs personnels qualifiés. Dans son rapport sur les perspectives de l’économie mondiale en 2050, le Fonds Monétaire International (FMI 2016), augure que l’Afrique perdrait pas moins de 35 millions de travailleurs qualifiés partis rejoindre les pays du nord.
Notons tout de même que la fuite des cerveaux (brain drain) pourrait constituer un gain ou brain gain en faisant du migrant un « passeur » ou un « intermédiaire ».
Dans son rapport 2018, la Cnuced écrivait : « Les migrants africains comptent des personnes de tout niveau de qualification, qui quittent leur pays par des voies légales ou par d’autres moyens. Non seulement ils remédient au déficit de compétences dans leurs pays de destination, mais ils contribuent également au développement dans leurs pays d’origine.
47.400 morts sur les chemins migratoires africains depuis 2017
Selon l’organisation internationale de la migration (OIM), au moins 47.400 morts sont enregistrés sur les routes de migration africaines depuis 2017.
De manière détaillée environ 75 migrants africains meurent chaque semaine sur le continent africain avant même d’embarquer pour de périlleux voyages maritimes vers l’Europe ou la péninsule arabique. Selon les dernières données publiées par le Projet sur les migrants disparus (MMP) de l’OIM, 573 migrants sont morts, cette année 2024, sur le continent africain.
Ce nouveau rapport, qui se fonde sur des entretiens avec plus trente mille migrants ou réfugiés conduits entre 2020 et 2024, a été réalisé conjointement par le HCR, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et le Centre mixte des migrations.
En attendant que les politiques socio-économiques du Cameroun, en particulier le Groupement des entreprises du Cameroun trouvent des solutions palliatives au phénomène de la fuite des cerveaux, il demeure une question existentielle profonde. Quelle jeunesse pour quel avenir en 2035 ?