Et si le camfranglais faisait bientôt son entrée dans les discours officiels ? C’est en tout cas ce que laisse entrevoir une déclaration récente du président Paul Biya. Dans un pays où la jeunesse ne cesse d’innover dans les usages linguistiques, le chef de l’État salue désormais publiquement ce qu’il appelle un « génie linguistique ».

Dans une allocution aux accents d’ouverture culturelle, Paul Biya qualifie la diversité linguistique comme « un atout pour le développement » et « un facteur de croissance économique ». Plus surprenant encore, il rend hommage à cette langue hybride, parlée par des millions de jeunes Camerounais dans les rues, les salles de classe, les réseaux sociaux : le camfranglais.

Longtemps marginalisé, associé à l’indiscipline ou à la paresse scolaire, ce parler issu d’un mélange de français, d’anglais et de langues locales est désormais cité comme un élément de l’« innovation linguistique » nationale. « Une langue de communication » dit-il. Mieux, le camfranglais serait l’héritier direct du pidgin anglais, présenté comme le « devancier » dans cette même dynamique d’appropriation locale.
Ce changement de ton est-il le signe d’une future reconnaissance institutionnelle ? Rien n’est officiel pour l’instant. Mais il y a dans ces mots un glissement. Une légitimation tacite. À l’heure où les politiques d’inclusion et d’identité culturelle sont de plus en plus mises en avant, notamment sur fond de crises sociopolitiques, valoriser le camfranglais devient aussi un geste politique.
On ne peut que s’interroger : le camfranglais restera-t-il cantonné aux marges ou connaîtra-t-il, comme le swahili en Afrique de l’Est, une montée en puissance officielle ? En attendant, les jeunes, eux, n’ont pas attendu les institutions pour l’adopter. Et peut-être, pour une fois, c’est l’État qui suit le peuple.