Depuis la restauration du multipartisme au Cameroun dans les années 1990, la scène politique a fait l’expérience de plusieurs regroupements des forces d’opposition qui ont connu des fortunes diverses, entre déchirures, déceptions et dissolutions. Aujourd’hui les partis politiques tentent de nouveau de constituer un bloc fermé dénommé Alliance politique pour le changement, l’objectif étant d’affronter le parti au pouvoir le Rassemblement Democratique du Peuple Camerounais. L’Alliance politique pour le changement va-t-elle faire exception ? Il semble hasardeux d’y répondre avant de l’avoir vue à l’œuvre.
L’impossible coalition de l’opposition, une histoire qui remonte à plus de 30 ans
Lors de l’élection présidentielle de 1992, l’Alliance pour la reconstruction du Cameroun par la Conférence nationale souveraine (ARC-CNS), muée en l’Union pour le changement, avait soutenu la candidature de John Fru Ndi, alors président du Social Democratic Front, avant de se disloquer un an plus tard
En 1994, hors contexte électoral, le Front des alliés pour le changement (FAC), avait vu le jour, avant de faire long feu après quelques mois. Dix ans plus tard, la Coalition pour la reconstruction et la réconciliation nationale avait jeté son dévolu sur Adamou Ndam Njoya, comme son candidat à l’élection présidentielle, sans pour autant survivre à ce rendez-vous politique.
Qu’est ce que l’APC, et quels buts poursuit-elle ?
La mise en place de l’Alliance politique pour le changement (APC), nouveau regroupement des partis politiques, des membres de la société civile, et des associations et des citoyens d’horizons divers, est annoncée comme l’un des moments importants de la vie politique camerounaise, à quelques mois de la prochaine présidentielle. Objectif : soutenir la candidature du président du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), Maurice Kamto, à cette élection.
À en croire ses initiateurs, cette dynamique vise à rassembler autour de cette figure politique, des partis politiques, les organisations de la société civile, des autorités traditionnelles et religieuses, des intellectuels, des universitaires, des hommes et des femmes de culture.
Mais déjà cette initiative ne fait pas l’unanimité sur ses chances de succès. Plusieurs questions émergent au sujet de l’APC. Elles ont trait à la capacité même de ses initiateurs à rassembler au-delà du MRC, de la Dynamique et du Front pour changement du Cameroun (FCC), deux formations politiques de peu de poids, respectivement présidées par Albert Dzongang, (un ancien ponte du Rassemblement démocratique du peuple camerounais, parti au pouvoir), et Jean-Michel Nintcheu (ancien vice-président du Social Democratic Front, longtemps principal parti d’opposition du Cameroun).
Des candidatures individuelles au détriment d’une candidature unique ?
Cabral Libii, Maurice Kamto et Akere Muna sont candidats déclarés en vue de l’élection présidentielle de 2025. Chacun bénéficie du soutien de plusieurs partis politiques et organisations de la société civile. Trois groupes de partis politiques d’opposition et de figures politiques connues au Cameroun sont en compétition pour la présidentielle de 2025. Le troisième a déclaré son existence le 28 septembre dernier. Il se réunit pour soutenir la candidature de Me Akere Muna, avocat international et figure de la société civile, portée par le parti Univers de Prosper Nkou Mvondo. Investi par le parti Univers, le candidat qui s’est retiré de la course en 2018 pour soutenir Maurice Kamto bénéficie de l’approbation d’une vingtaine de partis politiques. L’une de ces formations politiques est l’Union des populations du Cameroun (UPC) de Pierre Baleguel Nkot.
Le candidat investi s’illustre ces dernières années au Cameroun dans la lutte contre la corruption, la dénonciation des différents scandales de détournement de fonds publics. Ses sorties récentes sont relatives à l’affaire Glencore où des personnalités de l’administration fiscale et de la SNH sont accusées d’avoir perçu des pots de vin. Son investiture par le parti Univers signe sa défection de l’Alliance pour une transition pacifique dont les figures les plus visibles sont Cabral Libii du PCRN et Oliviers Bile des Libérateurs.
Ce deuxième groupe de partis politiques et d’organisation de la société civile n’a pas encore investi un candidat unique. Mais, Cabral Libii a déjà déclaré sa candidature pour le compte du PCRN dont il est le président national. Au moment où Univers qui l’avait investi en 2018 déclare porter la candidature de Me Akere Muna pour 2025, l’ATP prépare les primaires pour désigner son candidat.
Ces primaires rejetées au sein de l’Alliance politique pour le changement (APC) sont à l’origine de la formation de l’ATP. Alors que Jean Michel Nintcheu, député exclu du Social Democratic Front et président du FCC approche les partis d’opposition pour soutenir la candidature de Maurice Kamto en 2025, il écarte l’option d’un candidat consensuel. Ce préalable n’encourage pas certains à suivre le mouvement. Ils préfèrent des candidatures individuelles au détriment d’une candidature unique.
Cependant, Maurice Kamto a déclaré sa candidature mais n’a pas encore précisé le mécanisme par lequel cette candidature sera valide, le MRC n’ayant aucun élu. Les deux autres figures sont portées par deux partis politiques ayant des conseillers municipaux (PCRN et Univers) et les députés (PCRN). Avec la multiplication des alliances, l’on s’achemine encore vers une présidentielle avec une opposition divisée.
Ce que pensent les camerounais de cette alliance
Face à la désorganisation de l’opposition et des tentatives échouées à chaque fois, de nombreux Camerounais restent sceptiques
Il existe d’autres défis pour l’APC. “ La question, c’est l’étendue et la puissance de cette alliance. On évaluera par exemple le poids politique de Jean-Michel Nintcheu une fois parti du Social Democratic Front. Pour le moment, on note qu’il n’a pas encore pu entraîner avec lui l’ensemble des cadres de ce parti qui en avaient été exclus comme lui. Nombreux sont d’ailleurs ceux qui se montrent réticents à rallier l’APC”, observe Njoya Moussa.
“Ce projet de soutien à Maurice Kamto, souffre d’ailleurs, comme beaucoup d’autres initiatives passées, d’une déficience originelle : tout le monde se voit en messie, mais personne ne se voit en disciple”, fait remarquer Patrick Rifoe, universitaire et politologue.
Le journaliste Jean Bruno TAGNE pour sa part déclare « D’abord, il y a les égos. Chacun d’entre eux rêve d’être président de la République. Et puis l’opposition n’est pas homogène. Il y a de véritables opposants, qui ont une stratégie et rêvent véritablement de renverser le régime de Paul Biya, et d’autres qui sont là simplement pour faire obstruction”.