Alors que le monde célèbre ce 3 mai la Journée mondiale de la liberté de la presse, placée cette année sous le thème « Informer dans un monde complexe : l’impact de l’intelligence artificielle sur la liberté de la presse et les médias » , le rapport 2025 de Reporters sans frontières (RSF) dresse un constat alarmant. Jamais depuis la création de son classement en 2002, l’état de santé des médias n’a été aussi préoccupant. Pour la première fois, les conditions d’exercice du journalisme sont jugées mauvaises dans la moitié des pays du monde, et le Cameroun incarne cette réalité avec acuité.

Cameroun : entre pluralité apparente et précarité profonde
Le pays se classe 131e sur 180 dans le classement mondial de la liberté de la presse. RSF décrit un paysage médiatique foisonnant – plus de 600 journaux, environ 200 stations de radio et plus de 60 chaînes de télévision – mais profondément fragilisé par un environnement hostile.
« Bien que le Cameroun possède l’un des paysages médiatiques les plus riches d’Afrique, il est l’un des pays les plus dangereux du continent pour les journalistes », souligne RSF.
L’assassinat du journaliste Martinez Zogo en janvier 2023 reste l’exemple le plus marquant de cette insécurité persistante. La pression politique y est omniprésente. RSF dénonce un climat où la critique du pouvoir expose journalistes et médias à des menaces, harcèlements et sanctions, alimentant une autocensure massive.
« Le président domine tous les domaines de l’État. Ce climat alimente l’autocensure et conduit la plupart des médias à se conformer aux vues des autorités », précise le rapport.

Un étouffement économique des médias privés
Mais cette année, RSF met en lumière un danger plus insidieux : les pressions économiques, devenues la première cause de recul de la liberté de la presse dans le monde. Le Cameroun ne fait pas exception.Les journalistes des médias privés y travaillent dans des conditions précaires. L’État accorde des aides financières, mais celles-ci sont jugées insuffisantes, inéquitables et orientées politiquement.
« L’indépendance éditoriale est fortement compromise par cette précarité », déplore RSF.
Un phénomène mondial : des médias qui ferment, des rédactions qui survivent
À l’échelle mondiale, 50 % des pays connaissent une situation « difficile » ou « très grave » pour les journalistes. Le rapport 2025 relève que plus de 60 % des pays évalués enregistrent une baisse de leur score en matière de liberté de la presse. La pression économique constitue la menace la plus marquante cette année. Elle se manifeste par :
La concentration des médias entre les mains de groupes proches du pouvoir (notamment au Nigeria, au Cameroun ou en Sierra Leone)
La dépendance aux annonceurs publics ou privés, comme au Bénin, au Togo ou au Kenya
Le manque de subventions fiables, comme en Mauritanie ou au Sénégal
La captation des revenus publicitaires par les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft), qui affaiblit le modèle économique des médias classiques>
« Sans indépendance économique, pas de médias libres », martèle RSF.

Afrique : la liberté de la presse en net recul
Selon RSF, 80 % des pays africains ont vu leur score économique se détériorer. La répression politique, l’insécurité et les pressions financières créent un environnement de plus en plus invivable pour les journalistes. Cas notables :
Rwanda, Ouganda, Éthiopie : la situation passe de « difficile » à « très grave »
Mali (119e), Burkina Faso (105e), Guinée (103e) : fortes chutes dans le classement, en lien avec les juntes militaires et les conflits
RD Congo (133e) : polarisation et répression dans l’est du pays
Érythrée : dernière du classement, sans aucun média indépendant
Sénégal : médias en grève contre un nouveau code de la presse jugé liberticide
En parallèle, des pays comme l’Afrique du Sud, la Namibie, le Cap-Vert et le Gabon se démarquent par une situation jugée globalement « bonne ».
Exemple américain : la démocratie aussi fragilisée
Même les États-Unis sont épinglés. Depuis l’investiture de Donald Trump en janvier, RSF dénonce des « attaques quotidiennes » contre la presse. Plusieurs médias publics, comme Voice of America, ont déjà fermé, privant « plus de 400 millions de personnes » d’une information fiable.Trump a récemment signé un décret mettant fin au financement de la PBS et de la radio NPR, accusées de « biais ». Le gel de l’aide internationale américaine a également impacté les programmes de soutien aux médias à l’étranger, dont ceux de l’USAID, qui ont pourtant permis de soutenir 6 200 journalistes, 707 médias non étatiques et 279 ONG dans plus de 30 pays.

Un modèle de presse à réinventer
Le rapport RSF 2025 est sans appel : la liberté de la presse recule à une échelle mondiale, victime des dictatures, des conflits, de la précarité et des géants du numérique. Dans cette nouvelle ère, les médias indépendants peinent à survivre. Le Cameroun, comme de nombreux pays africains, est confronté à une double menace : l’étau politique et l’asphyxie économique. La sauvegarde d’une presse libre et plurielle passe désormais par une réforme en profondeur des modèles de financement, de régulation et de protection des journalistes.