Pour la première fois depuis plus d’un an, les présidents de la République démocratique du Congo (RDC), Félix Tshisekedi, et du Rwanda, Paul Kagame, se sont entretenus en tête-à-tête, mardi 18 mars, à Doha, au Qatar. Cette rencontre surprise, tenue sous la médiation de l’émir Tamim ben Hamad al-Thani, visait à trouver une solution à la crise sécuritaire qui secoue l’Est de la RDC.

Un dialogue relancé après une longue impasse
Depuis plusieurs années, Kinshasa accuse Kigali de soutenir la rébellion du M23, un groupe armé ayant conquis de vastes territoires dans les provinces du Sud et du Nord-Kivu. Des accusations corroborées par plusieurs rapports des Nations unies mais que le Rwanda continue de nier. La dernière rencontre entre les deux chefs d’État remontait à février 2024, en marge du sommet de l’Union africaine, où l’échange avait été particulièrement tendu.
Cette fois-ci, le climat de l’entretien semble avoir été différent. Selon des sources proches du dossier, la discussion de 45 minutes s’est déroulée dans un cadre jugé « cordial », en grande partie grâce à l’implication de l’émir du Qatar. Ce dernier avait déjà tenté d’organiser une rencontre entre Tshisekedi et Kagame en janvier 2023, mais celle-ci avait été annulée à la dernière minute.
Un cessez-le-feu immédiat et inconditionnel annoncé
Au terme de la rencontre, les deux dirigeants ont réaffirmé leur engagement en faveur d’un « cessez-le-feu immédiat et inconditionnel ». Le communiqué du ministère des Affaires étrangères qatari souligne également que les parties ont convenu de poursuivre les discussions entamées à Doha afin d’établir des bases solides pour une paix durable dans la région.
Cette rencontre s’est déroulée alors que des négociations directes entre Kinshasa et le M23 étaient censées débuter le même jour à Luanda, en Angola. Toutefois, ces pourparlers ont été suspendus en raison de l’absence des représentants du mouvement rebelle, qui a justifié son retrait par les sanctions imposées récemment à plusieurs de ses dirigeants.
Un revirement stratégique des deux côtés
Si cette réunion a pu voir le jour, c’est notamment parce que les dynamiques sur le terrain ont évolué. Selon Trésor Kibangula, analyste à l’Institut d’analyses politiques Ebuteli, « les sanctions et les pressions occidentales commencent à peser sur Paul Kagame », tandis que « Félix Tshisekedi, qui rejetait toute idée de négociation avec le M23, s’y est finalement résolu, à mesure que le groupe armé gagne du terrain, ayant conquis Goma et Bukavu ».
Une source proche de la présidence congolaise a confié que Kinshasa était reparti de Doha avec un certain optimisme, espérant que cette rencontre « calmerait les ardeurs des combattants sur le terrain ».
Des engagements encore à préciser
Si la porte-parole de Félix Tshisekedi, Tina Salama, a annoncé sur X (anciennement Twitter) qu’un « cessez-le-feu immédiat et inconditionnel vient d’être décidé entre la RDC et le Rwanda », la cellule de communication de la présidence congolaise a précisé que « les modalités d’exécution de cet accord seront définies dans les jours à venir ».
De son côté, la présidence rwandaise a insisté sur la nécessité d’un « dialogue politique direct » pour traiter les causes profondes du conflit. Paul Kagame a affirmé que si « toutes les parties travaillent ensemble, les choses peuvent avancer plus vite ».
Un coup de théâtre diplomatique
Cette rencontre secrète, révélée seulement après le retour de Félix Tshisekedi à Kinshasa, constitue un véritable coup de théâtre dans une crise où les efforts de médiation avaient jusqu’ici échoué. L’attention était en effet portée sur Luanda, où l’Angola tentait d’initier un dialogue entre Kinshasa et le M23.
Le M23, qui revendique défendre les intérêts des populations tutsi de l’Est congolais, avait initialement accepté de participer aux négociations sous l’égide de l’Angola, avant de se rétracter à la dernière minute. Le mouvement a dénoncé les nouvelles sanctions de l’Union européenne visant plusieurs de ses dirigeants et des responsables de l’armée rwandaise, estimant qu’elles compromettaient le processus de dialogue.
Un conflit qui dure depuis trois décennies
L’Est de la RDC, riche en ressources naturelles et frontalier du Rwanda, est en proie à des violences depuis près de trente ans, impliquant une multitude de groupes armés ainsi que des acteurs étatiques poursuivant des intérêts géopolitiques et économiques. La récente offensive du M23 a aggravé la situation, provoquant des milliers de morts et le déplacement de centaines de milliers de civils, selon l’ONU.
Jusqu’à présent, toutes les tentatives de médiation ont échoué. En décembre dernier, un sommet entre Tshisekedi et Kagame à Luanda avait été annulé faute d’accord sur les termes d’une résolution.
La rencontre de Doha marque-t-elle un tournant ? Si un cessez-le-feu a été annoncé, son application concrète reste encore incertaine, tout comme la volonté réelle des deux dirigeants de s’engager dans un processus de paix durable.