Élu avec la promesse d’un changement radical et d’un renforcement de la souveraineté nationale, Bassirou Diomaye Faye a marqué sa première année à la tête du Sénégal par une politique étrangère affirmée et des initiatives en faveur de la transparence. Toutefois, sur le plan socio-économique, les résultats tardent à se concrétiser, alors que le pays fait face à une crise financière sévère et à une grogne sociale grandissante.

Un style présidentiel sobre et une nouvelle dynamique politique
Loin du modèle d’hyperprésidence de Macky Sall, Bassirou Diomaye Faye a adopté une posture plus réservée, laissant une place importante à son Premier ministre, Ousmane Sonko. Ce dernier, initialement candidat du Pastef avant son éviction de la course électorale, joue un rôle central dans la conduite des affaires gouvernementales.L’approche du président tranche avec ses prédécesseurs : il ne dirige aucun parti et semble vouloir se positionner au-dessus des luttes politiques. Cette stratégie vise à instaurer une gouvernance plus neutre, bien que les tensions politiques persistent.
Une diplomatie panafricaniste et une prise de distance avec la France
Dès son investiture, Bassirou Diomaye Faye a mis l’accent sur une politique étrangère tournée vers l’Afrique. Ses premiers déplacements ont été réservés à la Mauritanie et à la Gambie, avant d’établir des liens avec les États du Sahel en crise, notamment le Mali, le Niger et le Burkina Faso. Cette approche lui a valu un rôle de médiateur au sein de la CEDEAO, une organisation fragilisée par une série de coups d’État depuis 2020.Dans cette optique souverainiste, Dakar a également pris ses distances avec la France. Contrairement à ses prédécesseurs, Faye a visité plusieurs pays africains avant de se rendre à Paris.
La rupture la plus marquante reste l’annonce, en novembre 2024, de la fin des accords de défense avec la France, avec un retrait total des troupes françaises prévu pour l’été 2025.Cependant, le projet de sortie du franc CFA, promesse phare du Pastef, reste en suspens, nécessitant une concertation avec les pays voisins avant toute décision définitive.
Transparence et lutte contre la corruption : des avancées notables
Parmi les mesures phares de cette première année, la transparence dans la gestion publique a été un axe central. Le gouvernement a lancé une soixantaine d’audits dans des secteurs clés, comme les ressources minières, les infrastructures et la pêche. Dans ce dernier domaine, l’exécutif a refusé de renouveler l’accord de pêche avec l’Union européenne et s’est attaqué aux chalutiers opérant sous pavillon sénégalais, une menace pour les pêcheurs locaux. L’installation du Pool judiciaire financier (PJF) en septembre 2024 a permis de traiter 91 dossiers en quelques mois, aboutissant à la saisie de plusieurs milliards de francs CFA dans des affaires de corruption et de blanchiment. En parallèle, le gouvernement a initié un plan de transformation numérique pour moderniser l’administration publique, avec l’objectif d’atteindre 90 % de dématérialisation d’ici 2034.
Une situation économique alarmante et une population impatiente
Malgré ces initiatives, l’économie sénégalaise reste en difficulté. Le taux de chômage dépasse les 20 %, et le pouvoir d’achat des citoyens ne s’est pas amélioré de manière significative. L’annonce de la baisse des prix de certains produits de base (riz, huile, sucre, pain) en juin dernier a apporté un soulagement temporaire, mais reste insuffisante face à l’ampleur des défis.La situation financière du pays s’est révélée plus critique que prévu.
Le Fonds monétaire international (FMI) a révélé qu’entre 2019 et 2024, environ 7 milliards de dollars de dette publique ont été volontairement dissimulés sous l’administration de l’ancien président sénégalais Macky Sall. Cette révélation, qui confirme les conclusions de la Cour des comptes publiées en février 2025, met en lumière des irrégularités dans la gestion des finances publiques du pays.Selon Eddy Gemayel, responsable de la délégation du FMI, cette sous-estimation délibérée du niveau d’endettement a permis aux autorités de l’époque d’accéder plus facilement aux marchés financiers et d’obtenir des taux d’emprunt plus avantageux qu’elles n’auraient dû. L’écart entre les chiffres officiels et ceux établis par la Cour des comptes est significatif : alors que l’administration Macky Sall déclarait une dette publique supérieure à 70 % du produit intérieur brut (PIB), les calculs de la Cour des comptes l’estiment plutôt proche de 100 % du PIBavec un déficit budgétaire de 12,3 %. Cette situation a conduit le FMI à suspendre son programme d’aide au Sénégal, d’un montant de 1,8 milliard d’euros. La suspension a été décidée après que le gouvernement en place depuis un an a mis en évidence, en septembre dernier, des incohérences dans les données budgétaires du pays sous l’ancienne administration.De plus, la suspension des aides américaines par l’administration Trump a impacté des projets d’infrastructure essentiels, notamment en milieu rural.
Pour que le programme de financement puisse reprendre, le Sénégal devra d’abord identifier les mécanismes qui ont permis de masquer cette dette et mettre en place des mesures pour éviter que de telles pratiques ne se reproduisent. Le FMI recommande notamment la création d’un compte unique pour le Trésor public et une meilleure centralisation de la gestion de la dette. Dans les prochaines semaines, l’institution financière devra statuer sur la possibilité d’accorder une dérogation au Sénégal ou d’exiger le remboursement des fonds déjà prêtés avant de réévaluer l’octroi d’une nouvelle aide financière.
Face à ces défis, le gouvernement a annoncé une série de mesures d’austérité, notamment la réduction des dépenses publiques et un audit des effectifs de la fonction publique. Ces décisions, perçues comme une rigueur budgétaire nécessaire, ont néanmoins suscité la colère des syndicats, qui attendent des actions concrètes sur les salaires et la protection de l’emploi.
Réformes judiciaires et tensions avec la presse
Sur le plan institutionnel, le président Faye a initié une réforme de la justice, incluant la création d’un juge des libertés pour limiter les abus liés aux mandats de dépôt. Une loi en faveur des lanceurs d’alerte est également en préparation, en écho au parcours d’Ousmane Sonko, qui s’est illustré dans ce rôle avant son ascension politique.Toutefois, si le gouvernement a mis l’accent sur l’État de droit, des critiques émergent quant à la liberté de la presse. Plusieurs chaînes de télévision ont été contraintes de cesser d’émettre sous prétexte d’arriérés fiscaux, une situation perçue comme une tentative de museler les médias critiques du pouvoir. Cette tendance inquiète les observateurs, qui y voient un retour à des pratiques répressives.
Un an après son accession au pouvoir, Bassirou Diomaye Faye a amorcé des changements significatifs, notamment en matière de gouvernance et de politique étrangère. Néanmoins, les défis économiques et sociaux restent immenses. Le pouvoir doit désormais prouver qu’il est capable de transformer ses intentions en résultats concrets, sous peine de voir l’espoir suscité par son élection se transformer en désillusion.