Le camfranglais, ce mélange unique de français, d’anglais, et de langues locales camerounaises, est bien plus qu’un simple dialecte de rue. Il est le reflet d’une identité urbaine en pleine mutation, un langage vivant qui témoigne de la créativité des jeunes des villes de Yaoundé et Douala. Aujourd’hui, cette langue hybride s’exporte et intrigue au-delà des frontières, jusqu’à Paris, où le projet « Ya les Ways ! » s’efforce de la mettre en lumière.
Derrière cette initiative, deux passionnés : Julien Barret, linguiste et spécialiste des langues urbaines, et Benjamin Lebrave, producteur de musique et explorateur des sons de la rue. Ensemble, ils veulent non seulement faire découvrir le camfranglais, mais aussi célébrer l’identité culturelle qui en découle à travers des ateliers, capsules vidéo et spectacles.
Le « camfranglais » : une langue née des rues
Le camfranglais est né d’un contexte d’hybridation culturelle, au cœur des quartiers populaires du Cameroun où coexistent plusieurs langues. Loin de se contenter de suivre les règles classiques, les jeunes Camerounais ont inventé un parler qui répond à leurs besoins : celui de se reconnaître entre eux, de se démarquer et d’affirmer leur appartenance à une culture urbaine. Ce langage fleuri, drôle, parfois sarcastique, fait la part belle aux détournements linguistiques et aux images chocs.
Julien Barret, fasciné par cette créativité, s’est lancé dans un travail de recherche approfondi. Pour lui, le camfranglais n’est pas juste un jargon éphémère. C’est une langue vivante, en constante évolution, reflet de l’histoire sociale et politique du Cameroun. « Mon Ndolè ! », qui est une expression affectueuse, ou encore « Mboutman », pour désigner une personne manipulable, sont des exemples de cette richesse.
« Ya les Ways ! » : un pont entre le Cameroun et la France
C’est dans ce cadre que « Ya les Ways ! » voit le jour. Ce projet, pensé comme un dialogue interculturel, a pour objectif de montrer que le camfranglais est bien plus qu’un simple moyen de communication. Il est un véhicule de créativité, d’expression identitaire et un formidable outil d’émancipation culturelle. Le projet propose donc de découvrir cette langue à travers des formats dynamiques : des capsules vidéo qui plongent dans l’univers du camfranglais, des ateliers linguistiques ouverts au grand public, et des spectaclesoù cette langue se mêle à la musique urbaine.
Ces événements, organisés lors du Festival de la francophonie en octobre 2024 en France, permettent de partager la vibrante culture urbaine camerounaise avec un public international. Benjamin Lebrave, avec son expérience dans la production musicale, apporte une dimension sonore à cette langue. En alliant musique, vidéos et performances, ils offrent une immersion totale dans l’univers du camfranglais.
De la rue à la scène internationale
En participant à des festivals, en particulier celui de la francophonie en France, le projet « Ya les Ways ! » fait voyager cette langue des rues de Yaoundé et Douala jusqu’aux scènes parisiennes. La démarche est inédite, et le public français est souvent surpris, mais aussi séduit par cette énergie débordante et cet humour décapant.
Loin d’être une simple curiosité linguistique, le camfranglais est un miroir des réalités de la jeunesse urbaine africaine, pleine de débrouillardise et d’audace. À travers ce projet, Julien Barret et Benjamin Lebrave veulent aussi créer un espace où cette jeunesse peut revendiquer son identité, s’affirmer et se faire entendre dans un monde de plus en plus globalisé.
Une langue en perpétuelle évolution
Ce qui frappe dans le camfranglais, c’est sa capacité à évoluer rapidement. Chaque quartier, chaque groupe de jeunes peut y ajouter sa touche personnelle. Les influences sont multiples : l’anglais, le français, les langues locales telles que l’Ewondo ou le Duala, mais aussi les références à la culture pop, aux séries et à la musique. Cela en fait une langue ludique, mais aussi profondément enracinée dans les réalités sociales.
« Ya les Ways ! » capture cette essence mouvante du camfranglais, en montrant que loin d’être figé, ce langage est un terrain d’expérimentation, une passerelle entre les générations et les cultures. Dans une époque où les frontières linguistiques se floutent de plus en plus, ce projet ouvre une réflexion plus large sur la manière dont les langues se réinventent au contact des réalités contemporaines.
Si le camfranglais continue de conquérir les rues de Yaoundé, Douala et bien d’autres villes camerounaises, son futur pourrait bien être international. Grâce à des initiatives comme « Ya les Ways ! », cette langue pourrait devenir un symbole d’une culture urbaine globalisée, ancrée en Afrique, mais ouverte sur le monde.
Alors, que vous soyez à Yaoundé ou à Paris, tendez l’oreille, car le camfranglais pourrait bien être la prochaine langue que vous entendrez résonner dans les rues, dans les festivals et pourquoi pas… sur vos playlists.